Bulletin n°10
Naissance de l'autodrome de Linas- Montlhéry
(suite 2)

Mais revenons à notre compétition. Les concurrents qui étaient en tête ignoraient les catastrophes survenues derrière eux et arrivèrent à Bordeaux.

. 1er Gabriel arrivé après 5 h 13'

. 2ème Louis Renault, 5 h 40' à 99,400 km/h (premier des petites voitures).

A la suite de cette hécatombe, le gouvernement fut interpellé à la Chambre et reconnut sa part de responsabilité : insuffisance des mesures d'ordre et de sécurité, affluence énorme des curieux débordant sur la chaussée jusqu'à l'obstruer.

Le ministre de l'Intérieur publia un arrêté qui interdisait l'organisation des compétitions automobiles sur les routes ouvertes à la circulation.

Il devint donc nécessaire de créer des circuits fermés où la sécurité des coureurs et des spectateurs serait assurée par un service d'ordre suffisant.

Des circuits temporaires utilisant des routes neutralisées furent établis par les Automobiles-Club pour y disputer leurs courses et recevoir le Grand Prix de l'Automobile Club de France dont la première épreuve fut courue en 1906 sur le circuit du Mans. En 1912 à Dieppe. En 1913 à Amiens, Georges Boillot fut vainqueur (La Grande Guerre interrompit malheureusement sa carrière sportive : il fut tué en combat aérien en 1916).

D'autres compétitions furent courues sur les circuits de Clermont-Ferrand ; Rouen-Les Essarts ; Reims-Champagne ; Pyrénées-Commminges.

Les tentatives de records avaient lieu sur quatre sites :

à Achères près de la forêt de St Germain ;

à Dourdan-St Arnoult ;

à St Arnoult-Ablis ;

et surtout à Arpajon sur la RN20 dans la longue ligne droite, entre la sortie sud et le Bas de Torfou.

Cependant restait sans réponse, le problème d'un circuit permanent où disputer en sécurité des compétitions et établir ou battre des records de toutes natures.

LES AUTODROMES

A l'étranger des réponses diverses avaient été trouvées.

L'Angleterre disposait de Brooklands, au sud-ouest de Londres, depuis 1907.

Les Etats-unis avaient Indianapolis construit en 1909.

L'Italie avait Monza et l'Allemagne, l'Avus près de Berlin, depuis 1922.

En France où les courses étaient nées et où les foules étaient facilement rassemblées, plusieurs projets avaient été proposés, mais faute d'un moyen de financement, aucun n'avait vu le jour, sinon Miramas, près de Marseille, mis en chantier en 1923.

C'est alors qu'intervint Lamblin.

Alexandre Lamblin

Qui était Lamblin ?... un industriel spécialisé dans la construction des radiateurs à refroidissement par l'eau, pour les moteurs d'avions.

Les appareils équipés de ces radiateurs connurent un succès certain pendant la Grande Guerre et les années qui suivirent.

Amateur de sports, propriétaire d'un journal "L'aéro-sport", il était, grâce à son entreprise, à la tête d'une fortune considérable. On le décrit ainsi :

"Un lutteur,... un homme massif, tête au ras des épaules, un crâne lisse, une barbe abondante, dissimulant mal une mâchoire volontaire. Il avait le regard vif, deux yeux sombres en constant éveil..."

Un soir de 1923, à la fin d'un repas pris avec les collaborateurs de son journal, la conversation roulait sur le sport, les circuits et les autodromes. Lamblin s'exclama : "Moi, je vais en faire un, d'autodrome !" (citation André Major, juillet 1956).

Il avait tous les atouts dans son jeu pour se lancer dans l'aventure.

La recherche d'un terrain favorable ne fut pas longue : le domaine de St Eutrope, un plateau du Hurepoix couvert de bois, sur le territoire de la commune de Linas, dominant la vallée de l'Orge, à proximité de la route nationale n°20, peu éloigné de la gare de St Michel sur Orge, desservi par le célèbre petit train "l'Arpajonnais". Il s'en rendit acquéreur. Sur ce domaine de 650 ha, une ferme, Le Faye et un rendez-vous de chasse avec un splendide parc à la française, le château de St Eutrope.

Les Rêves de Lamblin

Sur ce plateau, Lamblin ambitionnait de construire une cité de l'automobile : "Lamblinville" dotée d'une piste de vitesse à profil soigneusement étudié pour le déroulement des courses automobiles et motocyclistes et pour l'établissement ou la conquête de records.

Autour de ce "cœur", des terrains de sports, une piste d'aviation légère, des hôtels, des restaurants. Le château de St Eutrope étant le "Club-house" des Automobiles-club.

Vaste programme !... Qu'en est-il advenu ? ....

L'industriel confia à l'ingénieur René Jamin, un de ses collaborateurs, le soin de dessiner la piste de vitesse. Elle n'est pas, comme on le dit couramment de forme ovale. Elle comprend deux lignes droites de 180 m, raccordées à deux arcs de cercle de 250 m de rayon par des courbes d'une longueur de 300 m.

Les arcs de cercle ont un profil de parabole et les raccordements sont des éléments de spirales. La pente en a été calculée de telle sorte que les voitures roulent normalement jusqu'à des vitesses dépassant 200 km/h.

La construction, confiée à la société nationale de construction, commencée en mars 1924, était terminée 6 mois plus tard.

Il fallut faire appel à la main d'œuvre étrangère, surtout italienne. Deux villages avec baraquements avaient été prévus pour loger les 2000 ouvriers, avec un poste de police pour assurer l'ordre.

Les travaux furent partagés entre 12 chantiers. Pour permettre aux camions d'apporter les matériaux une route d'accès de 4 km fut ouverte.

Caractéristiques de la piste.

Elle mesure 2,500 km, à la corde, soit à 90 cm du bord intérieur. Sa largeur est de 18 m (mesurée en projection horizontale, ce qui donne, pour la partie la plus relevée des virages, 21,50 m.

Sa surface est de 50.000m2 (5 ha), entièrement faite à la truelle et bouchardée à la main.

Les parties qui reposent sur le sol sont constituées par une forme en béton armé recouverte d'une chape en ciment.

Les parties non horizontales sont établies sur une armature très élaborée. Elle comprend des poteaux verticaux espacés de 3,50 m dans les deux sens réunis par des poutres longitudinales. Les rangées de poutres sont maintenues par des entretoises transversales distantes les unes des autres de 0,70 m.

L'ensemble a nécessité l'utilisation d'éléments moulés à l'avance et assemblés comme 7.000 entretoises.

Un coffrage a été mis en place pour couler la surface de béton soudant poutres et poutrelles recouverte d'une chape en ciment qui constitue la surface de la piste. Elle a une épaisseur de 20 à 25cm.

Tout ceci a nécessité 1.000 T d'acier et 8.000 m3 de béton.

Une tribune en bois longue de 250 m avec loges de bord de piste, tour pour la presse permettait d'accueillir 10.000 spectateurs.

Le château de St Eutrope, la ferme du Faye furent aménagés en restaurants et dans l'enceinte même le restaurant "La Potinière" fut construit.

Trois passages souterrains permettaient aux voitures et aux piétons d'accéder à la pelouse intérieure en passant sous la piste.

Le long du bord intérieur de la ligne droite face aux tribunes, 32 stands de ravitaillement, un immense panneau d'affichage et une tribune de chronométrage furent installés.

Et tout ceci fut donc terminé en 6 mois. Le 4 et le 5 octobre, l'autodrome était livré aux champions.

Paradoxalement, ce magnifique anneau sur lequel les as du volant rêvaient de réaliser des exploits et de pulvériser des records, eut pour premier utilisateur... un Cycliste !

Pour augmenter la vitesse et parcourir une plus grande distance dans l'heure, sur une bicyclette, les champions utilisaient l'abri que procurait un motocycliste assis bien droit sur sa machine. Pour améliorer encore cette protection, il y avait deux méthodes :

- soit on adaptait, à 60 cm derrière la roue arrière, un rouleau auquel le cycliste devait "coller" le plus possible avec sa roue avant,

  • soit on fixait derrière la moto un grand panneau (le bouclier), qui assurait une meilleure protection et permettait d'atteindre une vitesse plus élevée.
  • C'est derrière une moto munie d'un bouclier que le Français Guignard avait porté en 1909, le record de l'heure à 101,623 km/h sur le vélodrome de Munich.

Personne n'avait trouvé depuis une piste assez performante pour améliorer cet exploit. Et,... le 1er octobre 1924, le ciment de l'autodrome à peine sec pourrait-on dire, le Belge Léon Vanderstuyft (déjà détenteur du record de l'heure derrière moto sans bouclier depuis 1921 avec 80,750 km/h) se mit en piste derrière une moto munie d'un bouclier. Il réussit à parcourir 107,710 km dans l'heure.

Le record de Guignard, vieux de 15 ans, était battu et le nouveau champion estima que du temps passerait avant qu'on lui ravisse l'un ou l'autre de ses records... Qui sait ! ...

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écrit de l'Association Linas Patrimoine et Traditions
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