Bulletin n°10
Naissance de l'autodrome de Linas- Montlhéry
(suite 3)

Premiers tours de piste

L'ouverture de l'autodrome fut l'occasion d'une manifestation sportive de deux journées, le samedi 4 et le dimanche 5 octobre 1924.

"... Jamais nous n'avions vu autant d'autos, de cydecars, de motocyclettes réunis en caravane trépidante, hurlante, fumante, sur des voies qui se révélaient trop étroites... et rien ne peut mieux exprimer le succès de la première réunion organisée sur la magnifique piste de Linas-Montlhéry..." (Miroir des Sports - 8 octobre 1924).

Le samedi, après le grand prix des cydecars de 500 cm3 disputé sur 60 tours soit 150 km, on assista au Grand Prix de moto 175 cm3 puis au Grand Prix des cydecars de 750 cm3.

Une série d'exhibitions permit au spectateur d'applaudir les grands champions Eldridge sur sa Fiat et Parry Thomas au volant de sa Leyland.

Enfin le cycliste Brunier derrière moto se mit en piste, un peu tard, pour tenter de ravir son record à Vanderstuyft. Un incident mécanique à la moto l'empêcha de mener à bien sa tentative, mais il battit tous les records jusqu'aux 90 km.

Le lendemain dimanche, la réunion fut plus passionnante. Sur une moto de 250 cm3, Le Vack remporta la 1ère manche de 175 km à 116 km/h, et la seconde, de 200 km à 128 km/h.

Le Grand Prix de France de moto 500 cm3 fut remporté par Richard après un beau duel avec Péan : 200 km à 141 km/h.

Le Grand Prix des voiturettes vit la victoire de Goutte : 200 km en 1h 27' 6''.

Enfin l'épreuve attendue, l'affrontement sur 100 miles : des "grands de la piste" : Eldridge sur Fiat, Parry-Thomas sur Leyland, Duray sur d'Aout, (un constructeur belge qui ne sortira que quelques véhicules). Ils partirent à 15 secondes d'intervalle, le match à trois fut passionnant, la lutte sévère. Hélas les pneus n'étaient pas faits pour des accélérations et des vitesses aussi exceptionnelles. Thomas abandonna, le pneu avant droit avait totalement perdu sa gomme. Mais il avait établi le premier record du tour : 211,264 km/h. Eldridge dut aussi s'arrêter, le pneu arrière gauche en lambeaux. Duray termina en solitaire, sans chercher l'exploit.

Les festivités d'ouverture étaient à peine terminées que les pilotes grillaient d'envie de dépasser des exploits accomplis en d'autres lieux. Comme des enfants à qui on donne un nouveau jouet, ils rêvaient de vitesse ou d'endurance. Dans les quelques mois qui suivirent plusieurs centaines de records furent établis ou battus et l'autodrome fut baptisé "La piste la plus rapide du monde" ; "la piste des records".

Dès le 11 octobre,; l'Anglais Parry-Thomas, sur sa Leyland, était recordman du tour à 214,285 km/h. Mais Albert Divo, sur Delage lui ravissait ce trophée à 219 Km/h...

Il faudra attendre 1939 pour que Raymond Sommer atteigne 238,897 km/h sur cette distance.

Gros et Martin établirent le record des 24 h sur une Bignan-2l en effectuant 2 820 km. Ils continuèrent de tourner et s'attribuèrent le record des 3000 km à 117,830 Km/h.

Le 6 janvier 1925, par un bel après-midi, Pierre Vizcaya, se lançait à l'assaut du record de la Bignan, au volant d'une Bugatti 2l. Il s'adjugea les 500 Km, les 500 miles et les 6 heures et poursuivit sa ronde. La nuit était venue, claire, étoilée, la lune brillait. La température baissa rapidement. Il tournait depuis 10 h quand la piste se verglaçat. Il perdit le contrôle de son véhicule qui fit plusieurs têtes à queue et glissa jusqu'au bas de la piste, sérieusement endommagé. Vizcaya s'en sortit avec quelques contusions et la Bignan conserva son record.

Cependant que les voitures tournaient, que les records tombaient et qu'on testait la résistance des châssis, des moteurs, des pneus, la valeur des essences et des huiles, un problème se posait aux dirigeants. L'anneau de vitesse seul ne convenait pas au déroulement des grandes épreuves comme le Grand Prix de France.

La commission sportive de l'A.C.F. proposa à Alexandre Lamblin, la construction d'un circuit routier, raccordé à l'extrêmité des lignes droites de la piste et empruntant le virage nord. On y retrouverait les principales difficultés rencontrées sur les routes normales.

Lamblin avait déjà englouti presque toute sa fortune dans la réalisation de l'anneau de vitesse. Pour financer ce nouveau projet, il créa une société anonyme par actions "L'autodrome, Parc national des sports" ( au capital de 10 000 000 de francs, divisé en 100 000 actions de 100 F chacune). Il fit l'acquisition du domaine des Bruyères et négocia, parfois difficilement, l'achat de petites parcelles pour porter l'ensemble avec St Eutrope à 750 hectares.

Le 1er décembre 1924, la Société Générale de construction se vit attribuer la responsabilité de l'ensemble des travaux.

A partir du 15 janvier on construisit 8 000 m2 de baraquements dans 4 "villages", répartis le long du chantier, pour y loger les 2 300 ouvriers qu'on avait embauchés.

Les travaux commencèrent le 31 janvier 1925. La route comprenait 2 chaussées, le plus souvent parallèles. Chacune reliée à la piste mesurait 10m de largeur avec de part et d'autre un bas-côté de 2 m et un fossé de 1,50 m d'ouverture.

Son tracé obligea au déboisement d'une bande de terrain, large de 30 à 40 m, sur près de 6 km de longueur. Plus de 40 000 arbres furent arrachés. Aucune partie ne devait être en remblai. Le nivellement de certaines portions nécessita 22 000 m3 de terrassement dégagés à la brouette et répartis sur les côtés, ou bien transportés au loin dans des wagonnets circulant sur des voies de 0,60 m, type Decauville, tirés par des tracteurs ou des locomotives à vapeur.

Le circuit comprenait 25 virages dont trois de 15 m de rayon. Plusieurs côtes dont l'une avait une pente de 12 % (la côte Lapize) et deux lignes droites d'accélération ou de freinage de 250 m. Plusieurs bretelles reliaient les deux voies permettant de modifier la longueur du circuit. La chaussée était constituée par un hérisson de pierre meulière de 20 cm reposant sur une forme de sable de 5 cm. Il était recouvert d'une couche de pierre concassée de 10 cm. Pour la bande de roulement, après étude, le "revêtement Colas" fut choisi : une émulsion bitumeuse employée à froid permettant une route souple, lisse, mais non glissante même en cas de pluie... Les virages de petit rayon furent exécutés en béton, car on pensait que le "Colas" ne résisterait pas aux coups de freins dans les parties précédant ces virages.

La construction de cet ouvrage nécessita l'emploi d'une quantité considérable de matériaux :

- 26 000 tonnes de cailloux et gravillons,

- 12 000 m3 de sable,

- 3 200 tonnes de ciment,

- 40 000 tonnes de meulière extraite des carrières du domaine.

La piste routière était terminée le 7 juin 1925. Elle permettait grâce à son raccordement avec la piste de vitesse de bénéficier d'un circuit très original dans sa diversité, de 12,500 km.

La région parisienne était ainsi dotée d'un complexe sportif qui allait permettre d'organiser les compétitions les plus prestigieuses, notamment le Grand Prix de l'A.C.F., sans oublier les compétitions motocyclistes et les courses cyclistes.

Le 19 juillet 1925, l'Autodrome de Linas-Montlhéry ouvrait ses portes et se préparait à vivre des heures souvent grandes et glorieuses, parfois bien pénibles. Mais ceci fera l'objet de notre prochain bulletin.

Textes :
Roger Bertel

Illustrations :
Jean-Pierre Parain

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écrit de l'Association Linas Patrimoine et Traditions
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